Vanyda
Rencontre avec la concierge de l'Immeuble d'en face

Quand as-tu commencé le dessin ?

Ca a commencé très tôt. Quand j'étais petite j'étais hyper timide, je ne parlais à personne, donc je dessinais. J'ai débuté ma première BD à 6 ans, avec 60 pages de bonhommes bâtons qui font de la balançoire et du toboggan ! Après j'ai découvert les dessins animés japonais, les Chevaliers du zodiaque , Olive et Tom , etc. A partir de ce moment là, j'ai voulu faire du dessin animé, mais à 8 ans bien sûr, ce n'était pas possible ! A 10 ans, je me suis dit que j'allais finalement faire de la BD. J 'en ai donc commencé une, qui a duré jusqu'à mes 16 ans : 3 tomes de 46 pages d'une histoire qui s'appelait Freddy .

 

Quel cursus as-tu suivi ?

J'ai fait une seconde arts appliqués. Finalement, ça ne s'est pas bien passé, et j'ai été réorientée en première et terminale S.

 

Pourquoi cette réorientation ?

On m'a dit qu'un bac général m'ouvrirait plus de portes. En arts appliqués je ne faisais pas de dessin, aucun rapport avec la bande dessinée. En même temps, j'ai enfin rencontré des gens qui dessinaient et partageaient mes centres d'intérêts, ça me changeait de mon pauvre collège de campagne.

 

Tu passes ton bac et après ?

J'ai préparé le concours pour l'école d'Angoulême, et pour les Beaux-Arts de Dunkerque. Ca a été non pour Angoulême et oui pour Dunkerque. Mais comme là-bas, c'était surtout du conceptuel qui n'avait rien à voir avec le dessin, j'ai finalement choisi les Beaux-Arts de Tournai en Belgique, où il y avait une section bande dessinée, aucun concours d'entrée et où c'était pas cher du tout.

 

Comment ça s'est passé ?

C'était génial, tout le monde faisait de la BD , que des passionnés. La semaine on avait des cours photos, dessin, croquis de nus, histoire de l'art, etc. Et les jeudi et vendredi après-midi c'était l'atelier BD, où toutes les sections étaient mélangées. C'est là où j'ai rencontrée François, Rod et David. La formation a duré 4 ans et je suis sortie en 2001.

 

J'ai vu que les premières planches de l'Immeuble d'en face datent de 1999.

Quand on était tous les quatre à Tournai, on a fondé le fanzine Porophore, photocopié en 40 exemplaires. J'ai publié ma première histoire de l'Immeuble d'en face pour le premier numéro en janvier 2000. On a continué après les Beaux-Arts.

 

Comment s'est passée ton insertion auprès des éditeurs après ta sortie des Beaux-Arts ?

François qui était sorti avant moi, avait publié Mon cousin dans la mort aux éditions Petit à petit, qui faisaient aussi des bouquins sur des chanteurs. A ma sortie des Beaux-Arts, Petit à petit m'a contacté sur les recommandations de François, pour faire Edith Piaf en BD. Cela me faisait déjà un pied dans le monde de l'édition. Ensuite, j'ai envoyé partout mon dossier de L'année du dragon  : tout le monde m'a dit non. Rod et David qui ramaient aussi sur leur projet, venaient de trouver une petite boite à Paris qui s'appelle Carabasse. Ils m'ont proposé de leur montrer mon travail. Et ça a marché !

 

Pour L'immeuble d'en face c'était d'abord de l'autoédition ? Par l'intermédiaire de notre association, Bomo prod, qui produisait notre fanzine, j'ai décidé de publier un recueil de toutes les histoires de L'immeuble d'en face parus dans Porophore . Puis je l'ai distribué aux festivals. C'était vraiment à l'arrache, presque pour délirer. La première version était dessinée n'importe comment, les traits n'étaient pas droits, je n'aurai jamais démarché un éditeur avec ce truc-là ! Pourtant, c'est avec cette édition reliée qu'on est venu me chercher.

 

D'où t'es venue toute ton inspiration pour l'Immeuble d'en face ?

Quand je suis arrivée à Lille il y a 8 ans, j'habitais à côté de cet immeuble que j'ai dessiné. Il n'y avait pas de rideaux, et je voyais très bien ce qui se passait à l'intérieur. Du coup, cela a excité mon imagination, et je me suis inventée l'histoire que les gens de cet immeuble d'en face pouvaient vivre. J'ai écrit deux trois trucs, et au fur et mesure en croisant d'autres personnes, j'ai eu envie de les replacer dans une BD.

 

Donc tout a été inspiré de la réalité ?

Oui, par exemple, Béatrice la maman qui est enceinte, je l'ai vu dans le métro, avec son gros ventre, ses grands yeux bleus et son gamin. Elle avait une bonne tête et par rapport à ce qu'elle dégageait, je lui ai inventé une vie.

 

Et les autres personnages ?

Claire et Louis sont plutôt inspirés de mon propre couple, même si je ne suis pas grande et blonde ! Et puis d'autres couples de copains. Ceux de Fabienne et Jacky proviennent d'un oncle et d'une tante, qui ont eux aussi des chiens et ne se parlent plus trop.

 

Au niveau de l'histoire, tu racontes quand même des tragédies, des drames du quotidien.

C'est quand même pas tout le temps triste ! J'avais envie d'explorer toute la palette des sentiments humains.

 

La vie de tous les jours est vraiment bien restituée et ça touche vraiment tout le monde, notamment la scène où Claire se prépare un thé.

Pour moi c'était un plaisir de dessinateur, j'avais envie de dessiner un placard, le thé qui bout et comme on s'est déjà tous préparé un thé une fois, ça parle aux gens. C'est marrant, tout le monde me parle de cette scène, alors qu'il ne se passe rien !

 

Comment as-tu eu l'idée d'intégrer de véritables photos dans ta BD ?

Je crois que c'est par fainéantise. Je n'avais pas envie de tout redessiner, et aussi pour le plaisir de mettre des choses que j'aime dans ma BD, du coup j'ai repris des pochettes de CD, des posters, des trucs comme ça.

 

On sent bien entendu des clins d'śil personnels, une pochette de Keren Ann par ci, le Seigneur des anneaux par là, l'Agence tout risques à la télé !

Même dans les vidéos je me suis amusée : Jacky et Fabienne ont que des histoires de chiens, l'Incroyable voyage , 4 bassets pour un danois , Beethoven

 

Quelles sont tes références ?

J'ai découvert les mangas, BDs, comics underground américains aux Beaux-Arts, mais à la base c'était la BD franco-belge ( Thorgal et Sambre ) et les dessins animés japonais (j'étais ultra fan des Samouraïs de l'éternel ).

 

Qui admires-tu particulièrement dans le manga ?

Jirô Taniguchi et Taiyo Matsumoto. Akira m'a beaucoup inspiré au niveau du découpage et du cadrage.

 

Chez les auteurs de BD ?

Frédérique Peters , Manu Larcenet et Blutch.

 

Tu vas à l'encontre du manga traditionnel et commercial ?

Je connaissais et admirait Frédéric Boilet pour son travail. J'ai rencontré quelqu'un qui le connaissait et m'a dit qu'il allait lui envoyer l'Immeuble d'en face . Moi je m'imaginais le contacter dans deux ans, quand j'aurai un bagage derrière moi, alors que mon album était déjà parti au Japon avant même que ça ait commencé pour moi ! Et puis j'ai reçu un mail de lui où il disait qu'il avait adoré etc. et je me suis dit « Mais non, c'est moi la fan, c'est moi qui devrais écrire ça ! ». Tout s'est enchaîné super vite.

 

Es-tu déjà allé au Japon ?

Non, pas encore. J'attend : des sous, du temps…

Ca t'intéresserait de travailler là-bas ?

Je voudrais surtout y aller pour visiter le pays. Après y travailler, pourquoi pas ?

 

Surtout que ça doit être l'usine !

Justement, Frédéric Boilet n'est pas dans les mangas commerciaux, il fait plutôt du manga « artistique », du dessin. Du coup c'est autre façon de travailler et ça peut être intéressant.

D'ailleurs, je devais écrire une histoire érotique pour un magazine japonais. Mais l'histoire que j'ai faite n'était pas assez érotique ! (Rires) En fait c'est le passage dans l 'Immeuble d'en face où Claire court dans tous le sens en faisant n'importe quoi au petit déjeuner. Finalement ça m'a donné un autre chapitre, mais ça n'avait plus rien à voir avec ce que je devais faire pour cette revue !

 

Et comment ça c'est passé ensuite pour l'Immeuble d'en face  : d'abord Frédéric Boilet, puis la proposition de la Boîte à Bulles …

Non c'est deux choses différentes : il y a Frédéric Boilet d'un côté et de l'autre,

Vincent Henry, le fondateur de la Boîte à Bulles, et journaliste BD qui avait pris l'Immeuble d'en face pour le chroniquer sur BD sélection.com. Il avait déjà eu l'idée de monter a propre boite d'édition, parce que beaucoup de BDs amateurs lui plaisaient et qu'il avait envie de les mettre en avant, mais il m'a dit que ma BD le renforçait dans sa motivation. Du coup il a un peu fonder la Boite à Bulles pour pouvoir éditer l'Immeuble d'en face et un autre auteur qui s'appelle José Roosevelt.

 

Est-ce qu'il y a eu des confrontations pour éditer l'Immeuble d'en face au niveau des éditeurs ? D'autres maisons sont venues te démarcher ?

Une fois que ça a été signé avec la Boîte à Bulles, Delcourt m'a contacté, en me disant qu'ils étaient très intéressés par mon travail, ainsi que Dargaud.

 

Quels sont les critères qui font que tu vas travailler pour un éditeur plutôt que pour un autre ?

Je ne sais pas trop. Quand Delcourt m'a relancé, c'était déjà bien engagé avec la Boite à Bulles. De plus, je savais que Vincent est un journaliste, qui a pleins de contacts au niveau Presse et qu'il serait plus susceptible de pousser très fort le bouquin, alors que la collection Encrage, chez Delcourt, est un peu une sous collection qui n'est pas beaucoup mise en avant. Je suis restée fidèle à celui qui est venu me chercher !

 

Mais peut-être qu'à l'avenir on va te retrouver chez Dargaud  ou Delcourt?

Je suis censée travailler sur un projet pour Dargaud. Mais je dois avouer que ça n'avance pas très vite !

 

Et où en est le volume 2 de l'Immeuble d'en face  ?

J'écris des scénarios quand j'ai des idées, mais je ne trouve pas le temps de dessiner ! J'ai bien peur qu'il faille attendre encore quelques temps.

 

Comment écris-tu : les idées te viennent naturellement ou tu es obligé de réfléchir pendant des heures ?

J'écris de choses du quotidien, donc c'est vraiment basé par rapport à ce que je vis ou ce que j'observe chez les autres. Je ne suis pas du genre à me mettre à table en me demandant ce que je vais écrire aujourd'hui !

 

Et comment es-tu dans ton travail ?

J'essaye d'être rapide mais je n'y arrive pas tout le temps ! Je ne suis pas non plus une perfectionniste qui passe des heures sur la même case, à fignoler les détails dans le troisième arrière-plan ! (Rires)

 

Sur quoi se concentre ton travail en ce moment ?

Je suis sur la suite de L'année du dragon . J'ai pris du retard que j'essaye de combler. Je travaille aussi sur ce projet pour Dargaud, mais écrire un scénario c'est plus compliquer que dessiner, il faut avoir l'inspiration.

 

Quelle technique de dessin utilises-tu ?

Je travaille seulement avec du feutre sur du papier machine. Après je mets les trames par ordinateur. Aux Beaux-arts, on a essayé pleins de techniques différentes, mais je me suis rendue compte que, finalement, le feutre tout bête c'était ce qui me convenait le mieux.

 

 

 

 

Propos recueillis par Laure Delattre, Cédric Kpannou et Julien Magnani.