Benoit Mouchart
Entretien avec le délégué artistique d'Angoulême


Pourrais-tu nous présenter le festival d’Angoulême ?

 Le festival d’Angoulême existe depuis 32 ans, c’est la 31 ème édition. C’est l’équivalent pour la bande dessinée de ce que peut-être le festival de Cannes ou d’Avignon, à savoir la grand messe du 9e Art. Il s’y déroule beaucoup d’événements culturels, des expositions, des colloques, des débats, des avant-premières, des pièces de théâtre. Mais il y a aussi tout une partie essentielle, le socle de la manifestation, qui consiste à être une foire commerciale. Je dis foire sans connotation péjorative dans le sens où les éditeurs du monde entier viennent présenter leurs productions.

 

Angoulême serait une gigantesque vitrine de la BD ?

 Oui, et en même temps c’est un lieu d’échange, un lieu de rencontre, et d’émulation culturelle et mon travail consiste à m’occuper de la programmation.

Il y a en général plus de 200 000 visiteurs, dont bien sûr des fans, mais surtout des gens qui viennent en famille le week-end. C’est un vrai rendez-vous populaire, qui garantit l’aspect festif qu’on souhaite entretenir pour préserver la crédibilité du festival car nous sommes le seul événement BD d’importance en Europe. S’il y avait une bombe qui tombait sur Angoulême entre le 23 et le 25 janvier 2004 ce serait une catastrophe puisque la quasi majorité de la profession serait décimée. (rires)

 

Quels sont les objectifs d’Angoulême ?

 Déjà de continuer à être le référent culturel en France et en Europe de la BD. A l’avenir il faudrait augmenter sa durée, car on ne pas continuer à faire une manifestation qui ne dure que 4 jours. Chaque année il paraît entre 1800 et 2000 albums, donc il est évident qu’il faudrait davantage de temps pour tout évoquer. On vit aujourd’hui une sorte d’âge d’or de la BD, on a jamais eu de si nombreux succès, tant commerciaux qu’artistiques. En plus on a en France la grande chance maintenant de pouvoir lire autant de mangas qu’on veut, de bandes dessinées américaines, c’est une vraie richesse.

 

Il paraît que les auteurs sont très accessibles à Angoulême ?

 Quand je parlai d’un rendez-vous populaire, je devrai plutôt dire familial. Effectivement, vous allez vous retrouver à un café, sauf qu’à la table d’à côté vous auriez pu avoir dans les années 70 Hergé et Hugo Pratt, aujourd’hui vous pouvez rencontrer Claire Bretechet en train de discuter avec René Pétillon.

 

Quel est pour eux le revers de la médaille ?

 Etre auteur de bandes dessinées est une profession qui implique beaucoup de solitude ; selon Jean Giraud c’est un métier très douloureux quand on est critique sur soi même parce qu’il incite à être le spectateur de sa propre médiocrité. Les dessinateurs sont totalement immergés dans les images qu’ils réalisent ; on les imagine penchés sur leurs tables à dessin toute la journée. C’est un travail de bénédictin, il faut remplir les cases.

 Le dessin est utilitaire parce que c’est un mode d’expression particulier : il est au service d’un récit, il n’a pas seulement une fonction de représentation, purement esthétique, il a surtout une fonction narrative qui incite à énormément réfléchir sur la manière dont on dessine, c’est un dessin contraint qui ne cherche pas d’effets de facilité mais à atteindre une certaine lisibilité pour servir une histoire, une atmosphère, une psychologie du personnage. C’est un travail de metteur en scène, dans lequel un dessinateur un peu exigeant avec lui même va voir tous ses propres défauts.

 

Découvre t’on à Angoulême des futurs perles de la Bd ?

 Bien sûr, ça va être le cas cette année avec des élèves qui viennent d’une école flamande de Bruxelles dont l’un des professeurs est Yoanne de Mort, fils de Bob de Mort, (un auteur extraordinaire qui a inventé beaucoup de choses dans sa série La vache). On est vraiment en pleine prospection puisque ces élèves ont entre 20 et 25 ans.

 Il y aussi le pavillon des jeunes talents, où l’on trouve la bande dessinée scolaire, et aussi tout l’aspect palmarès puisque il y a des récompenses qu’on appelle les prix d’Angoulême, parmi lesquels on trouve le prix du 1 er album, du meilleur album, du scénario, etc.

 

Quels conseils as-tu à donner à ceux qui voudraient se lancer dans la BD ?

 Il ne faut jamais faire que ses études, n’écoutez pas toujours vos parents (sourire). Quand vous avez une passion il faut l’entretenir à côté. Mon travail actuel n’a rien à voir avec mon cursus (maîtrise de lettres modernes). Ce qui me nourrit aujourd’hui est totalement étranger à ce que j’ai pu faire dans mes études, en même temps mes études me servent quand je dois écrire un communiqué de presse, un courrier, un article, m’exprimer en public etc.

 

Mais existe-t-il un cadre d’étude pour travailler dans la BD?

Des écoles de BD existent comme l’école de l’image à Angoulême ; mais c’est pas parce que l’on a un diplôme qu’un éditeur va nous publier. Cependant, ces écoles sont très intéressantes pour avoir des formations, elles permettent un premier contact avec les professionnels puisque souvent les enseignants en sont issus.

La meilleure façon de devenir un auteur, c’est de s’exercer, écrire, dessiner, puis s’autopublier avec des photocopieuses ou par internet. Un auteur qui a vraiment envie d’être auteur l’est de toute façon même dans son coin. Le meilleur moyen de se faire connaître et de progresser c’est de se jeter à l’eau. Il faut pas attendre et se dire qu’on est pas prêt, qu’on ne fais pas vraiment ce qu’on aimerait faire, sinon rien n’arrive ; Ca existe un auteur dont la première BD est un chef d’œuvre, mais c’est rare car si on regarde le premier Hergé, Tintin au pays des soviets, c’est loin d’être une révélation.

 


 

Propos recueillis par Laure Delattre, Cédric Kpannou et Julien Magnani.